Chagall, le cri de liberté : une exposition à Nice révèle l’œuvre pacifique et radieuse de l’artiste

Dans un XXe siècle marqué par les bouleversements politiques, l’antisémitisme ambiant et les conflits mondiaux, Marc Chagall œuvre, tout au long de sa carrière, à un idéal de paix qui s’incarne à la fois par l’importance de l’amour dans son travail, par ses visions prophétiques positives inspirées par la Bible mais également par le soutien à la communauté juive qui l’a vu naître. Humaniste engagé, il appelle à l’unité entre les peuples par le biais de son art. L’exposition « Chagall politique. Le Cri de liberté » au Musée national Marc Chagall de Nice révèle le parcours d’un artiste ayant comme ligne directrice un profond humanisme.

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Un imaginaire harmonieux

Créant un imaginaire serein et harmonieux ou dénonçant avec violence les crimes envers le peuple juif, les œuvres de Chagall s’appuient sur un riche vocabulaire mêlant souvenirs personnels, événements politiques et sujets mythologiques ou bibliques. Les figures humaines vivent en symbiose avec les éléments naturels tels qu’animaux, oiseaux ou plantes, soulignant l’importance d’une coexistence harmonieuse entre les êtres. De la même manière, le bonheur et la sérénité sont incarnés par l’image du couple, métaphore de son amour pour Bella, sa femme, sa muse, sa complice : le couple devient pour Chagall le paradigme de l’union entre les êtres. La force de l’œuvre de l’artiste réside ainsi dans la transfiguration de ces thèmes pour promouvoir la paix universelle.

« Artists in Exile » : exposition à la Pierre Matisse Gallery, New York du 3 au 28 mars 1942. De gauche à droite, au premier rang : Roberto Matta, Ossip Zadkine, Yves Tanguy, Max Ernst, Marc Chagall et Fernand Léger ; au deuxième rang : André Breton, Piet Mondrian, André Masson, Amédée Ozenfant, Jacques Lipchitz, Pavel Tchelitchev, Kurt Seligmann et Eugène Berma. Photo : © Archives Marc et Ida Chagall, Paris, 2024

« Artists in Exile » : exposition à la Pierre Matisse Gallery, New York du 3 au 28 mars 1942. De gauche à droite, au premier rang : Roberto Matta, Ossip Zadkine, Yves Tanguy, Max Ernst, Marc Chagall et Fernand Léger ; au deuxième rang : André Breton, Piet Mondrian, André Masson, Amédée Ozenfant, Jacques Lipchitz, Pavel Tchelitchev, Kurt Seligmann et Eugène Berma. Photo : © Archives Marc et Ida Chagall, Paris, 2024

Dès les années 1920, perçu comme un chef de file possible pour un art juif moderne qui tente de se définir, Chagall s’implique fortement dans le développement artistique de la communauté juive, dans un esprit d’entente et d’accord entre les peuples. Dans ce sens, il participe au renouveau de la culture yiddish avec ses illustrations pour les revues artistiques Shtrom ou Khaliastra en 1922, et soutient la création d’un Musée national d’Art juif en Palestine à la demande du maire de Tel-Aviv en 1930. Durant la Seconde Guerre mondiale, en exil aux États-Unis, Chagall participe en mars 1942 à l’exposition collective « Artists in Exile », véritable acte de résistance artistique des avant-gardes, à la galerie Pierre Matisse à New York. Il s’investit par ailleurs dans de nombreuses organisations œuvrant pour lutter contre le fascisme, soutenir le peuple juif et, in fine, entrevoir un espoir de paix mondiale : Comité antifasciste juif, American Committee of Jewish Writers, Conseil juif pour le secours de guerre russe, National Labor Committee for Palestine…

L’après-guerre et l’installation à Vence

Après la Seconde Guerre mondiale, bouleversé par le sort des Juifs restés en Europe, Chagall retravaille son œuvre Révolution de 1937 pour la transformer et la découper, entre 1948 et 1952, en un triptyque intitulé Résistance, Résurrection, Libération. Ce dernier synthétise à lui seul la traversée de cette période tourmentée, symbolisée par les couleurs vives et les personnages désespérés et agités des deux premiers tableaux, qui s’ouvre vers un espoir retrouvé dans la quiétude de Vitebsk et les bonheurs simples de la vie dans le troisième. À son retour en France en 1948, Chagall s’installe à Vence, dans le sud de la France, à l’instar de nombreux artistes qui y viennent pour la lumière et la douceur de vivre.

Résurrection, 1937-1948, huile sur toile de lin, 168,3 x 107,7 cm. Nice, Musée national Marc Chagall, dépôt du Centre Pompidou, Musée national d’art moderne / Centre de création industrielle, Paris, dation (1988). Photo : © GrandPalaisRmn / Gérard Blot © Adagp, Paris, 2024

Marc Chagall, Résurrection, 1937-1948, huile sur toile de lin, 168,3 x 107,7 cm. Nice, Musée national Marc Chagall, dépôt du Centre Pompidou, Musée national d’art moderne / Centre de création industrielle, Paris, dation (1988). Photo : © GrandPalaisRmn / Gérard Blot © Adagp, Paris, 2024

Ici, il se consacre à ses projets artistiques dans une atmosphère sereine et œuvre activement en faveur du processus de paix universelle, notamment en participant au Congrès pour la Paix à Paris en avril 1949. À partir des années 1950, Chagall accepte de nombreuses commandes institutionnelles dans l’espace public, qui lui permettent de diffuser des idéaux de spiritualité et de paix entre États. « Décorer des murs dans des bâtiments publics est depuis longtemps mon rêve. S’il était possible de décorer une synagogue, ce rêve serait tout à fait exaucé. »

Libération, 1937-1952, huile sur toile de lin, 168 x 88 cm. Nice, Musée national Marc Chagall, dépôt du Centre Pompidou, Musée national d’art moderne / Centre de création industrielle, Paris, dation (1988). Photo : © GrandPalaisRmn / Gérard Blot © Adagp, Paris, 2024

Marc Chagall, Libération, 1937-1952, huile sur toile de lin, 168 x 88 cm. Nice, Musée national Marc Chagall, dépôt du Centre Pompidou, Musée national d’art moderne / Centre de création industrielle, Paris, dation (1988). Photo : © GrandPalaisRmn / Gérard Blot © Adagp, Paris, 2024

En 1960-1962, la commande de l’hôpital Hadassah de l’Université hébraïque de Jérusalem de douze vitraux pour la synagogue répond à ce souhait. Chagall illustre le thème biblique des douze tribus d’Israël, en résonance avec la création du nouvel État au sein duquel l’artiste réalise une première œuvre monumentale. Conformément à la tradition iconographique juive, il ne représente ni Dieu ni homme mais réunit de nombreux symboles (astres, plantes, animaux) autour d’une couleur dominante — bleu, jaune, rouge ou vert.

Des commandes publiques prestigieuses

En 1962, Chagall réalise un nouveau projet pour l’État hébreu : à la demande du Parlement israélien, l’artiste crée un ensemble monumental de mosaïques et de tapisseries, tissées à la Manufacture des Gobelins, pour la décoration de la Knesset à Jérusalem. Sans revendiquer une position sioniste, Chagall manifeste par ces projets son attachement à ses racines juives et son soutien à la création du nouvel État. Dans ses œuvres monumentales, Chagall met régulièrement en avant les prophéties bibliques qui évoquent un futur pacifique et radieux.

Le Rabbin en noir et blanc ou Juif en prière, 1923, huile sur toile, 116,8 x 89,4 cm. Chicago, The Art Institute Chicago (Etats-Unis), Joseph Winterbotham Collection. Photo : © Scala Archives, Florence © Adagp, Paris, 2024

Marc Chagall, Le Rabbin en noir et blanc ou Juif en prière, 1923, huile sur toile, 116,8 x 89,4 cm. Chicago, The Art Institute Chicago (Etats-Unis), Joseph Winterbotham Collection. Photo : © Scala Archives, Florence © Adagp, Paris, 2024

En 1964, un groupe d’employés de l’ONU commande à Chagall un vitrail sur le thème de la paix (ill. p. 62-63) en hommage à Dag Hammarskjöld, Secrétaire général de 1953 à 1961, mort en mission dans un accident d’avion. Pour cette œuvre destinée à une institution politique, l’artiste choisit d’illustrer la prophétie d’Isaïe, une « légende prophétique de la Paix », à la fois « poétique et d’une importance mondiale » selon les mots du peintre. Reprenant la composition circulaire de son eau-forte pour Bible en 1956 sur le même thème, il imagine autour d’un couple central des animaux, des saltimbanques et des figures bibliques tournoyant dans un mouvement d’allégresse saluant l’avènement de la paix universelle.

Ich bin Jude, vers 1940-1950, encre bleue sur page de carnet, 15 x 8,8 cm, Collection particulière. Photo : © Archives Marc et Ida Chagall, Paris © Adagp, Paris, 2024

Marc Chagall, Ich bin Jude, vers 1940-1950, encre bleue sur page de carnet, 15 x 8,8 cm, Collection particulière. Photo : © Archives Marc et Ida Chagall, Paris © Adagp, Paris, 2024

Quelques années plus tard, en 1976, l’artiste reprend ce thème pour son plus grand vitrail, La Paix ou L’Arbre de vie, à la chapelle des Cordeliers à Sarrebourg (ill. p. 56, 57, 60, 64). Il conçoit un immense arbre de vie central, éclatant de couleurs et accueillant le couple originel Adam et Ève autour duquel sont figurées des scènes de l’Ancien et du Nouveau Testament, notamment la Crucifixion et la vision d’Isaïe. Chagall reprend des symboles de la paix pour les vitraux latéraux et la tribune : buissons, rameaux de feuillage, colombes et anges. En 1973, il accepte — non sans réticence — la commande des vitraux de l’église Saint-Étienne à Mayence, en Allemagne, qui sont inaugurés en 1978. Malgré le refus de Chagall de se rendre et d’exposer en Allemagne après la Shoah, de nombreuses expositions et acquisitions sont organisées en son honneur dans un pays en quête de rédemption. La réalisation des vitraux de Mayence manifeste ainsi la résilience d’un pacifisme engagé de l’artiste.

Le Cheval roux, 1967, huile sur toile de lin, 121 x 213,7 cm. Nice, musée national Marc Chagall, dépôt du Centre Pompidou, musée national d’Art moderne / Centre de création industrielle, Paris, dation (1988). Photo : © GrandPalaisRmn / Gérard Blot © Adagp, Paris, 2024

Marc Chagall, Le Cheval roux, 1967, huile sur toile de lin, 121 x 213,7 cm. Nice, musée national Marc Chagall, dépôt du Centre Pompidou, musée national d’Art moderne / Centre de création industrielle, Paris, dation (1988).. Photo : © GrandPalaisRmn / Gérard Blot © Adagp, Paris, 2024

Un héritage artistique porteur d’espoir

Chagall laisse derrière lui un héritage artistique toujours actuel qui rappelle l’importance de l’espoir dans l’humanité. Ses messages prônant un monde exempt de conflit font de lui un humaniste engagé. De 1956 à 1966, il travaille sur son projet biblique le plus ambitieux : le Message biblique, empreint de spiritualité et d’harmonie. Dans L’Arche de Noé, à la fin du déluge, une colombe, symbole de paix, apparaît comme signe de réconciliation entre l’humanité et la nature. Tandis que les cinq œuvres constituant le Cantique des Cantiques célèbrent ce chant d’amour universel. « J’ai voulu les laisser [les tableaux du Message biblique] dans cette maison pour que les hommes essaient d’y trouver une certaine paix, une certaine spiritualité, une religiosité, un sens de la vie. » Le Musée national Marc Chagall, ouvert en 1973 à Nice, paraît ainsi incarner son plus beau manifeste en faveur de la paix.

« Chagall politique. Le Cri de liberté »
Musée national Marc Chagall, Nice
Jusqu’au 16 septembre 2024


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